GÉOGRAPHIE,
HISTOIRE ET GÉNÉALOGIE DE LA BRIÈRE
Généralités socio-économiques
au XVIIème et au XVIIIème siècles
QU’EST-CE
QUE LA BRIÈRE ?
De nos jours il n’est pas évident de répondre aux questions : Qu’est-ce
que la Brière ? Qu’est-ce qu’un Briéron ?
La Brière est généralement perçue comme un immense marais de
Juridiquement il est admis que les propriétaires indivis de la Brière
sont les habitants des communes riveraines. Insistons sur le fait que là
encore, le terme «Brière» désigne la partie inhabitée. Cette indivision est
gérée par une commission syndicale créée par Louis-Philippe le 3 octobre 1838.
Les habitants de chaque commune intéressée y ont un représentant ou syndic.
Ces communes sont au nombre de 21. Citons-les :
Montoir, St-Joachim, St-Malo-de-Guersac, Trignac, Donges, La
Chapelle-Launay, Prinquiau, Besné, Crossac, Pontchâteau, Missillac, Ste Reine,
La Chapelle-des-Marais, Herbignac, St-Lyphard, St-André- des-Eaux, Guérande,
St-Nazaire, Pornichet, La Baule-Escoublac, La Turballe.
Certains vont jusqu’à considérer, en partant de là, que le territoire de
la Brière est composé de l’ensemble de ces communes et que leurs habitants sont
des Briérons.
Sur le papier, avec des lois et des règlements, on peut faire tout ce
que l’on veut, mais un titre de propriété n’a jamais changé la nature d’un
homme. Il serait bien étonnant que le pêcheur turballais, l’hôtelier baulois,
le métallo nazairien, le commerçant des abords de La Roche-Bernard ou de
Sévérac, se sentent vraiment briérons, surtout si leurs parents étaient Corses
ou Alsaciens.
Non, un Briéron cela doit bien être autre chose.
Mais revenons à nos XVIIème et XVIIIème siècles, et remontons même dans
le temps à la recherche des documents parlant de la Brière, des rapports avec
elle de ses riverains, de leurs droits sur elle si souvent évoqués lors des
projets de dessèchement.
Il n’est pas ici question de faire une étude juridique sur le droit de
propriété ou le droit coutumier, ni
d’ouvrir une polémique à ce sujet.
Mais cela mérite, semble-t-il, d’essayer de se mettre dans la peau des
gens de cette époque, réagissant simplement en êtres humains, devant des faits
concrets, dans la société qui est la leur, et d’essayer de traduire ces
réactions dans notre langage à nous.
Le plus ancien document que nous connaissions est la fameuse lettre
patente que le duc François II, père d’Anne de Bretagne, adressa le 8 août 1461
au sénéchal et au procureur de Guérande. L’original en est disparu mais nous en
avons une copie datant du 21 avril 1777 et conservée au A. D. L. A. à la cote B
123.
1461 c’est l’année de la mort de Charles VII et de l’avènement de Louis
XI. La guerre de 100 ans est terminée depuis quelques années laissant le pays
dans un état désastreux. Les marais de Brière n’ont pas échappé à la ruine.
L’entretien des étiers, canaux, douves et rigoles qui permettaient l’évacuation
des eaux vers la Loire a été abandonné. Peu à peu ces ouvrages se sont
obstrués, transformant en marécages impraticables les marais autrefois utilisés
par les riverains pour le tourbage, la nourriture et la litière de leurs
animaux.
Charles de COESME, seigneur de Cuneix et de la nouvelle vicomté de
St-Nazaire, créée en sa faveur à l’occasion de son mariage avec la sœur du
vicomte de Donges, est fort marri de cet état de fait. Sans doute n’est-il pas
insensible à la peine de ses vassaux qui ont ainsi perdu des moyens de vivre
plus à l’aise mais il se dit aussi que c’est pour lui une perte importante et
qu’une remise en état lui permettrait de réévaluer ses afféagements.
Cependant, seul, il ne peut rien faire. Il s’adresse alors à son
suzerain le duc de Bretagne qui ayant autorité sur les autres seigneurs
riverains de la Brière, ses vassaux, peut engager une action cohérente pour
l’évacuation des eaux stagnantes.
Au reçu de la supplique, le duc, qui a lui aussi beaucoup de
problèmes avec la remise en état de son
duché, se dit qu’il y a peut- être là quelque chose à faire et il écrit à ses
représentants à Guérande. Traduisons les passages intéressants :
-« Il y a une certaine manière
de lac en la paroisse de Montouer, assez près des pastures situées du côté de
la Brière, en notre juridiction de Guérande»...
-«Le peuple de Montouer,
St-Nazaire, St-André, Escoublac et autres paroisses est empêché par les eaux
d’aller à la dite brière dont ils tiraient leurs mottes et leurs foins, ce qui
est un grand préjudice et dommage pour le suppliant (Cuneix), les nobles et
leurs sujets».
-«Si l’on pouvait faire le
nécessaire pour que les eaux puissent choir dans la mer, ce serait un grand
bien et profit pour le dit suppliant et autres nobles et sujets, pour
nous-mêmes (le duc) qui en aurions les rachats, et pour le bien public»
- En conséquence il commande à son sénéchal et à son procureur de faire
appel à tous ceux, nobles et notables, intéressés dans cette affaire, pour
qu’ils assurent le financement et l’exécution des travaux
Quelle suite eut cette missive ? Nous l’ignorons. Mais il ne semble pas
qu’elle changeât grand-chose à la situation.
Conclusions à tirer :
- La Brière est bien cet espèce de lac s’étendant autour de Montoir.
- Les vassaux des seigneurs riverains avaient l’habitude d’y aller
chercher des mottes pour leur chauffage
et de la nourriture pour leurs bêtes.
- Si les choses pouvaient s’améliorer cela permettrait aux vassaux
d’être plus à l’aise. Les seigneurs pourraient augmenter leurs prélèvements sur
eux et le duc en avoir sa part.
Dans les divers «Moyens d’opposition» au dessèchement des marais, il
n’est pas fait mention de cette lettre patente, sans doute parce qu’elle était
inconnue, enfouie qu’elle était dans les papiers d’un notaire de St-Nazaire. La
tradition gardait le souvenir d’un don fait par Anne de Bretagne de la Brière
aux Briérons. Sans doute s’agissait-il de ce document.
C’est l’aveu rendu au roi François Ier en 1542 par Suzanne de Bourbon,
vicomtesse de Donges et tutrice de son fils Claude II de Rieux qui servit de
base aux riverains pour faire valoir leurs droits, confirmés par d’autres aveux
ultérieurs. Ces documents sont conservés aux A.D.L.A. à la cote B 1834. (folio
288 recto du livre de l’ancienne réformation voir aussi E 444)
La dame de Donges en inféodant
au roi les marais, fréault et communs, tant sous-bois que pastures appelés les
brières qu’autres communs de marais, déclare que les hommes et sujets de la
dite vicomté sont en position d’y aller et venir, de prendre et couper des
mottes pour chauffage, les litières pour fourrage, bois pour chauffage, clore
leurs terres, faire escluses et autres leurs affaires et aussi y conduire et
mener leur bestes sans pouvoir en être empêchés en aucune manière.
C’est là le document de base pour la revendication des droits des
riverains sur la Brière. Mais ce n’est pas là notre propos.
Notons simplement que cela se passe dans le cadre de la vicomté de
Donges et concerne donc tous les sujets de la dite vicomté et tous les marais
en dépendant , c’est pourquoi on y parle «des brières».
Ce texte a été repris dans tous les aveux qui ont suivi.
Il faut savoir qu’un «Aveu» était une déclaration détaillée qu’un vassal
faisait à son suzerain de tous ses titres, ses biens, rentes etc... qu’il
tenait de son fief. Disons le plus prosaïquement : sa déclaration de revenus.
Et à quoi sert une déclaration de revenus ? A calculer le montant des impôts.
Avec des nuances, cela n’a pas beaucoup changé.
Les vicomtes de Donges ont donc toujours déclaré la Brière (ou les
brières) comme partie de leur fief. Ce qui est normal dans la coutume féodale :
«pas de terres sans seigneurs».
Par contre il était important d’y faire figurer les droits des vassaux,
car ces terres ne rapportant rien à la vicomté, elle n’était pas disposée à se
voir imposée à leur sujet.
Et si les seigneurs n’inféodaient pas ces terres contre redevances,
c’est qu’il n’y avait rien d’intéressant pour eux à en tirer.
En septembre 1774, lors d’une longue discussion qui accompagna la
présentation des «Moyens d’opposition» de la paroisse de Prinquiau, sans doute
les plus sérieux et les mieux argumentés de l’espèce, on dit expressément que
les reconnaissances des droits des vassaux à utiliser les marais viennent de ce
que les seigneurs n’en avaient aucune utilisation pour eux-mêmes.
Par contre toutes les terres cultivables, aussi bien à Fédrun que dans
les autres îles étaient inféodées avec redevances.
De tout cela on peut déduire une définition restrictive de la Brière,
limitée au grand marais allant de Crossac à St-Lyphard et de Méan à La
Chapelle-des-Marais. Une définition plus large peut l’étendre aux régions
marécageuses allant de Pontchâteau à Mareil. C’est alors qu’on parle «des
brières».
Alors qui est «Briéron» ? Tous les habitants des îles bien sûr, mais
aussi tous ceux du pourtour qui sont au contact quotidien du marais. Cependant,
là encore il y a briéron et briéron.
QU’EST-CE QU’UN BRIÉRON ?
Objectivement on peut classer les Briérons en 3 catégories :
- Les Briérons-paysans, ceux du pourtour, pour qui la Brière n’est
qu’accessoire.
- Les Briérons des îles, de Montoir en particulier, puisque cette
paroisse est l’objet de la présente étude.
- Les Briérons-briérons, ceux des îles
intérieures groupées autour de la chapelle St-Joachim. Vivant
presqu’exclusivement de la Brière et en endogamie presque parfaite, ils ont
constitué une véritable race, robuste et prolifique qui continue à irriguer le
reste de la paroisse. Ils sont l’archétype du Briéron.
Situons le pays dans le contexte des XVIIème et XVIIIème siècles. La
région où s’inscrit la Brière, disons l’entre-Loire et Vilaine, est
essentiellement agricole. Depuis quatre siècles déjà son aspect général est
fixé. Les massifs forestiers sont limités aux forêts de la Madeleine, de la
Bretesche et plus loin celle du Gâvre. La plupart des terres exploitables l’ont
été. Le marais de Guérande a été transformé en salines.
Seul le marais briéron a gardé son caractère primitif.
L’agriculture française à cette époque est essentiellement vivrière et
comme la nourriture est à base de céréales, les terres qui peuvent être
cultivées sont consacrées à cette production. L’élevage est très réduit. Dans
ces conditions une année de mauvaise récolte provoque la famine. Or nous sommes
dans ce qu’on appelle la petite ère glaciaire. Les étés pourris ne manquent
pas.
C’est dans ce cadre que vivent les habitants du pourtour de la Brière.
Ils sont paysans comme leurs semblables bretons. Ayant le marais à leur porte,
ils en profitent pour en tirer un supplément de chauffage, avec la coupe de la
motte, un supplément de foin et de litière pour leurs animaux qu’ils peuvent de
ce fait avoir en plus grand nombre. Ils peuvent aussi, par le piégeage du
poisson et du gibier d’eau agrémenter leur menu quotidien.
Les riverains des marais de Bougaille, Donges, Prinquiau, Besné, n’y
tourbent pas mais ils y ont des plantations de saules qui leur assurent le
chauffage. Ils y récoltent aussi en grande quantité des glayeulx pour la
nourriture hivernale des animaux.
(…….) les documents consultés jusqu’à présent permettent de fixer
quelques points.
Agriculture : Le 9 Thermidor an II, la municipalité de Montoir
fait un exposé de la situation de la commune (12 JJ 15) on y lit :
- Que les 3/4 du sol de la commune, soit
- L’autre quart est en labour, emblavé en: Froment =
Le surplus (
La production est en année moyenne de :
Froment = 315 tonnes Seigle =
12 tonnes
Avoine = 26,5 tonnes Orge
= 65 tonnes
On peut en déduire un rendement moyen à l’hectare de:
Froment=486Kg Seigle=375Kg Avoine=407Kg Orge=500Kg
Ceci bien sûr dans la mesure où les chiffres de base sont exacts
Le tonnage de froment nécessaire pour la subsistance des habitants étant
évalué à 540 tonnes, soit 45 tonnes par mois, la récolte ne couvre donc que les
besoins de 7 mois. Il faut en importer 225 tonnes. Ceci pour une année normale,
mais bien souvent la moisson locale ne couvre que 2 mois
En recoupant d’autres informations (12 JJ 14), on peut estimer les
productions de :
Blé noir = 26 tonnes Pois et
fèves =13 tonnes Millet =2 tonnes
Mèture (mélange de froment et seigle) = 13 tonnes
Tous ces chiffres représentant bien sûr des approximations plus ou moins
larges.
Les terres ainsi cultivées sont évidemment celles des îles et Guersac y
doit avoir une part importante puisque nous savons par ailleurs (B 1905)
qu’avec les îles de St-Joachim elle fournissait un siècle plus tôt le 1/3 de
l’avoine et les 2/3 du froment prélevé par la vicomté.
La vigne n’est pas sans importance. De nombreuses parcelles lui sont
consacrées. On en trouve d’éparpillées dans l’île du Clos, mais aussi à
Guersac.
Le cépage la plus répandu est «la vigne blanche».
Élevage :Les moutons sont la principale richesse des
éleveurs. Il y en a sur toutes les îles mais
en petite quantité. On ne peut pas faire en même temps du grain et de
l’élevage. La production importante d’ouayes (agneaux) se fait dans les prés
marais, en particulier dans la grande prairie entre le bourg, Trignac et Méan.
Il y a aussi quelques porcs, quoique leur terrain de prédilection soit
le couvert, inexistant sur la paroisse.
Le petit élevage consiste en poules et poulards avec production
intensive de chapons dans les chaponnées de l’île du Clos.
Noter aussi les nombreuses ruches dont la production la plus précieuse
est la cire recherchée pour l’éclairage des maisons nobles et bourgeoises.
Il y aussi un élevage assez important de chevaux. Ils sont surtout
utilisés pour le transport des personnes, montés où dans les brancards d’une
carriole. Les cavales pleines ou suitées courent le marais. C’est une race
rustique mais petite. Jamais l’armée n’y a trouvé d’animaux lui convenant,
aucun n’atteignant les
C’est pour les bovins qu’il serait intéressant de fouiller d’autres
documents dans le but de confirmer ou d’infirmer leur absence presque totale.
Il n’est question des bêtes à cornes que comme «agents du labourage». Il y en a
dans les métairies. Peut-être sont-elles en meilleur état que celles dont parlent
les riverains de Besné, disant que «la
race s’abatardissait, allant chercher leur nourriture dans les marais, de la
fange jusqu’au ventre et qui s’ils étaient mieux nourris rendraient aux champs
leur fertilité.» (C 111)
- La motte, «vulgairement appelée tourbe», le moyen de chauffage
traditionnel des Briérons, mais aussi le seul car il n’y a pas de bois dans les
îles, est devenu, en plus, le produit d’exportation du marais.
C’est la partie que nous appelons de nos jours la Grande Brière mottière
qui est exploitée d’une façon intensive. Il y a parfois des coupes dans les
autres marais, mais de façon exceptionnelle.
Le 24 juillet 1775, les commissaires rencontrent HALGAN, CLEMENCEAU,
DAVY, notables de Montoir, près de la chaussée d’Erran. Ayant creusé dans le
sol un trou de
A partir de ce moment, tout au cours de l’enquête, dans tous les marais
où ils iront, les enquêteurs entendront le même plaidoyer.
Les habitants de toutes les paroisses riveraines peuvent aller se servir
en Brière, mais généralement ils le font très peu car ils disposent de bois
pour leur chauffage. Ceux qui y ont vraiment recours sont les paroissiens de
Montoir et essentiellement ceux de la trêve de St Joachim qui, leurs besoins
satisfaits, font commerce du superflu.
Les gens de la Chapelle des Marais sont à peu près dans la situation de
ceux de Montoir.
Ce combustible à une faible valeur calorifique, mais son prix lui aussi est bas. C’est le
chauffage des pauvres. Certains Briérons vont eux-mêmes le vendre à Nantes,
mais il en est exporté jusqu’à Bordeaux et à Brest. La motte sert de fret de
retour aux innombrables petits bateaux qui font le cabotage le long des côtes.
Le roseau : Plante essentiellement aquatique est utilisé
bien sûr comme litière pour les animaux
mais son rôle noble est d’assurer la couverture des maisons.
Dans un pays où il n’y a ni ardoisières ni terre susceptible d’être
utilisée pour la fabrication de tuiles, ni même assez de paille comme on en
trouve sur les maisons de paysans, le roseau est vraiment le matériau idéal.
Il est disponible sur place et en quantité.
La charpente nécessaire pour le soutenir est économique, parfois un
morta (arbre fossilisé) pour la poutre de faîtage, autrement quelques perches et mauvaises
branches suffisent. Pas de bois équarri. Et en plus un pouvoir d’isolation
thermique certain.
Le roseau a de tout temps servi à la construction des loges, les
anciennes maisons briéronnes qui ne servent plus que d’écuries ou de remises.
Là il ne constitue pas seulement la couverture, mais aussi les parois et les
portes.
Les coupes de roseau se faisaient en principe tous les 3 ans mais en
réalité tous les 4 ou 5 ans, car trop souvent les habitants étaient obligés
d’aller, de l’eau jusqu’au ventre, couper les jeunes pousses pour assurer la
nourriture de leurs animaux au printemps quand les prés et marais étaient
inondés très avant dans la saison (C 112).
Le jonc - Lui aussi
peut servir pour la couverture mais il a
une utilisation bien spécifique : fagoté et sec il sert à chauffer les fours,
remplaçant ainsi les épines traditionnelles dont le pays est dépourvu.
Les poissons - Anguilles et pimpenauds (civelles) toujours
présents dans ce pays sont un élément important de l’alimentation.
Le gibier d’eau - dont le piégeage est une
des passions du Briéron, a aussi une part non négligeable dans sa nourriture.
Les canards - Issus des cols verts sauvages et domestiqués,
vivent en liberté surveillée dans le marais où ils trouvent leur nourriture et
élèvent leurs couvées. Puis ils rentrent à la maison mère, leur port d’attache.
Il en est de même pour quelques oies.
Les différents métiers exercés à Montoir seront étudiés dans un autre
chapitre.
Il en est cependant un à découvrir, celui de «briéron». Eh oui ! Ce
terme recouvre tout. C’est l’habitant d’un pays, mais aussi son métier, sa
façon de vivre.
Le Briéron n’a pas l’âme d’un paysan. Dans ses îles la terre cultivable
est réduite et la population nombreuse. Il en est résulté une parcellisation
extrême des terres dont le travail s’apparente plus à celui d’un jardinier qu’à
celui d’un agriculteur.
Entre le chemin qui cerne l’île et le marais, la levée de terre légère
sert de potager où sont cultivés pois, fèves, carottes, navets. Le centre de
l’île, la gagnerie, libre de toute habitation et plantation est divisée en
lopins où chaque famille cultive des céréales, essentiellement le froment et le
blé noir qui peu à peu a remplacé le millet.
Le sol se travaille à la main. La terre retournée à la bêche est
beaucoup mieux préparée qu’avec l’araire ou la charrue. La jachère y est
inconnue car la terre est enrichie par l’apport reconstituant d’un mélange de
fumier animal, de déchets domestiques, de déjections humaines, du produit du
nettoyage des curées et des débris de tourbe. C’est ce qu’on appelle le «mâni».
«Dans toutes les paroisses on
manque de fumier, sauf à Montoir où il y a peu de terres labourables en
comparaison des prés et marais qui y sont plus praticables et des bestiaux et
chevaux qu’on y nourrit» (C 112)
Nous avons vu que le Briéron est aussi pêcheur et chasseur. On devrait
plutôt dire piégeur ou trappeur.
Il est aussi coupeur de mottes à la saison, avec tout ce que cela
comporte : le séchage, le transport, stockage, commercialisation.
Si l’on trouve des couvreurs en ardoises au bourg de Montoir, il n’est
jamais fait mention de couvreur en chaume. Cela fait également partie du métier
de briéron.
Il n’y a pas de charrettes dans les îles, peu de traction animale. Le
moyen de transport est le chaland qui navigue sur un réseau de curées et de
canaux reliant toutes les îles. Du chaland à la maison ou au champ il n’y a
jamais bien loin. La liaison est assurée par le charigot (brouette) et la cage,
la civière si l’on est deux. Mais son chaland et autres moyens de transport,
c’est le Briéron qui se les construit. Cela lui donnera un sens inné du travail
du bois qui en fera un charpentier renommé dans la marine. Il fabrique aussi
ses mannes (paniers de bois) et ses bahoules (petits coffres de bois servant de
garde-manger portatifs).
On a beaucoup glosé, surtout au XXème siècle sur le Briéron, être noir,
frustre, à demi sauvage, comme le présente Alphonse de Chateaubriant, mais il
n’est pas si loin le temps où c’était là le lot de tout paysan.
Cependant le Briéron a bien une spécificité. On le considère et il se
considère différent. Essayons de voir la situation en ces années 1600/1800.
Le paysan est un homme de la glèbe. C’est la terre qui le fait vivre ou
le laisse mourir. Le Briéron a bien sa levée et sa gagnerie, mais c’est
essentiellement un homme de l’eau. Il y trouve toujours de quoi survivre.
Les terribles périodes de famines dues aux vicissitudes climatologiques,
sont donc moins ressenties par lui. Si sa gagnerie le trahit, le marais est là
pour relativiser les difficultés.
L’homme des champs a son horizon limité aux quelques hectares qu’il
exploite. Le Briéron a l’immensité du marais à sa disposition.
Le manant a toujours un seigneur dont il dépend et qui prélève une
partie de sa récolte. Le Briéron aussi, par ces îles, est rattaché à un fief,
mais le morcellement de la terre y est tel que seules les parcelles les plus
importantes peuvent être imposées. Et puis, surtout, il est maître chez lui
dans sa Brière.
Retiré dans ses îles difficilement accessibles, il se sent un homme
libre. Cette liberté unique dans le monde qui l’entoure c’est sa fierté et il
est prêt à la défendre farouchement.
Ce sentiment de différence est aussi ressenti par le monde rural qui
l’environne. C’est l’origine de sa réputation de sauvagerie qu’il ne fait rien
d’ailleurs pour atténuer.
Au XIXème siècle on l’a accusé d’être à l’origine de maladies
dégoûtantes (Allain : Crossac). Il est
certain que les maladies paludéennes, en particulier les dysenteries, devaient
parfois faire des ravages dans la population. Cependant son isolement le
protégeait des épidémies venant de l’extérieur.
D’ailleurs l’étude démographique montre ici une population en
accroissement continu, vivace, recevant peu d’apports étrangers mais au
contraire allant vers l’extérieur.
Au fond, ces Briérons de la trêve de St-Joachim, ces sauvages qu’on
affecte de mépriser, ne seraient-ils pas plutôt l’objet d’un sentiment d’envie.
On sait déjà leur vitalité, la part de plus en plus importante qu’ils prennent
démographiquement dans la paroisse. Mais quand on considère l’établissement de
la contribution foncière (12 JJ 15), on s’aperçoit que s’ils possèdent une
grande quantité de maisons dans leurs îles (ce qui est normal étant donné la
population), les immeubles dont ils sont propriétaires dans le reste de la
paroisse sont à peu près le tiers de ceux situés dans leur trêve.
Considérant le terme «immeuble» dans son sens fiscal on s’aperçoit que
nos gens de St-Joachim possédaient, en plus de leurs propres biens, environ 13
% du foncier de Montoir. Ils ne se défendaient pas si mal nos ancêtres.
Mais on peut bien se poser la question : le fait que les femmes de la
trêve, les Briéronnes, semblent avoir joué dans la vie publique un rôle de
premier plan, n’expliquerait-il pas cela ? Leur influence et leur sens de
l’économie n’y sont sans doute pas étrangers.
Fier et libre, intransigeant sur ses droits, maître chez lui et méfiant
vis-à-vis des étrangers. C’est le Briéron tel qu’en lui-même il se complait et
tel qu’il restera longtemps malgré les lentes adaptations aux temps nouveaux.
LES MESURES COUTUMIÈRES A
MONTOIR
Chaque seigneur pouvant fixer lui-même les mesures utilisées sur ses
domaines, il y avait parfois de grosses différences d’un lieu à un autre. En
voici quelques-unes utilisées à Montoir dont il faut noter le caractère
approximatif:
MESURES LINEAIRES
1 lieu =
2400 toises = 4.677 m.
1 Toise =
1 ligne =
1 toise pour les douves =
1 aulne = 5
empans =
1 empan =
MESURES DE SURFACE
1 journal =
49 ares
1 journée de 40 sillons = 32 ares
1
« « 30 « =
24 ares
1 sillon =
1 raie =
1 hommée de faucheur = 34 ares
1 lèche =
24 à 32 ares
MESURES
DE POIDS
1 marc =
1 quartier =
1 truellée = ?
parfois poids, parfois capacité
Toute
reproduction, même partielle, de cet ouvrage pour quelque usage que ce soit est
formellement interdite. Cette clause est garantie par les alinéas 2 et 3 de
l'art. 41 de la loi du 11 mars 1957 et par le premier alinéa de l'art. 40.
Toute dérogation constituerait une contrefaçon sanctionnée par les art. 425 et
suivants du Code Pénal.